Après la fermeture de mosquées pour des raisons arbitraires, après avoir dissout le CCIF, après avoir organisé une chasse discriminante aux abayas dans les établissements scolaires, l'État poursuit sa volonté de s'en prendre à la communauté musulmane en souhaitant maintenant résilier le contrat d'association que le lie au groupe scolaire Al Kindi, situé à Décines-Charpieu, dans la banlieue lyonnaise (69).
En effet, dans un communiqué datant du 3 décembre 2024, la Fédération Nationale de l'Enseignement privé Musulman (FNEM) indique que l'établissement lyonnais est sous le coup d'une "procédure visant à résilier tous ses contrats" (ie de la primaire au lycée). Cette procédure intervient près d'un an tout juste après la résiliation du contrat d'association de l'autre lycée privé musulman sous contrat, le lycée Averroès à Lille.
Dans cet article, nous souhaitons revenir sur les raisons qui poussent les autorités publiques à engager cette procédure. Le 12 décembre prochain, l'établissement aura la possibilité de se défendre sur les « éléments assez graves » qui lui sont reprochés, au cours d'une commission de concertation au siège de l'académie. Qu'en est-il vraiment ?
Le rapport d'inspection de l'établissement
Tout établissement privé en France peut être inspecté par les autorités. Pour qu'une procédure puisse s'engager contre Al Kindi, plusieurs rapports ont été rédigés. En toute logique, ces rapports sont censés être confidentiels et n'être accessibles qu'au personnel de l'Éducation Nationale, de la Préfecture ou du personnel de l'établissement visé.
Mais ce n'est vraisemblablement pas le cas en France puisque BFM TV a pu se le procurer et avoir en détail toutes les choses reprochées au groupe scolaire Al Kindi. Comment est-il possible qu'un média d'information puisse y avoir accès ? Mais soit, cela aura au moins le mérite de nous permettre d'analyser et de revenir très en détail sur tout ce qui est reproché à cet établissement.
Les griefs reprochés au groupe scolaire Al Kindi
1. Des livres "problématiques" au CDI
D'après le rapport d'inspection, donc, l'un des principaux griefs est la présence dans le Centre de Documentation et d'Information (CDI) de livres jugés "problématiques". Ces livres seraient les suivants :
- "La voix du musulman" de Abu Bakr Al-Jazairi
- "Droits et devoirs de la femme en Islam" de Fatima Naseef
- "La réalisation du but" de Ibn Hajar al-Asqalani
Ces livres prôneraient le "djihad violent", la "supériorité des musulmans", la "promotion de la charia", le "rôle de la femme d'après la religion" ainsi que l'"opposition à l'homosexualité". Et pour couronner le tout, le rapport d'inspection préciserait que ces livres seraient "cités dans les magazines produits par l'État islamique".
Si l'on peut à juste titre s'interroger sur l'intérêt de la présence de ces livres dans un établissement scolaire, les conclusions sur ce qu'ils prôneraient est hâtif et hors de propos. Il s'agit de livres religieux où sont recensés de nombreux ahadiths (traditions prophétiques) et leur lecture doit se faire à la lumière de la théologie musulmane : une parole, un geste, un acte réalisé par le Prophète ﷺ se doit d'être compris dans un contexte bien précis.
Avoir une lecture de ces livres sans apporter du contexte n'a donc pas de sens et c'est éventuellement cela que l'on pourrait reprocher à l'établissement. Quoique nous n'avons aucune information de comment s'est déroulée la mise à disposition de ces ouvrages aux élèves : sont-ils uniquement accessibles pour les lycéens par exemple ? Sont-ils disponibles en présence d'un adulte de l'établissement uniquement ? Peuvent-ils être empruntés par les élèves ? Toutes ces questions que le rapport semble ignorer...
Puis, plus scandaleux maintenant, faire le lien entre ces livres et le fait qu'ils soient cités par l'État islamique est tout simplement honteux. Pourquoi n’emprisonnons-nous donc pas tous les musulmans puisque dans leur prière, ils prononcent "Allah Akbar" comme le font probablement les membres de l'État islamique ? La plupart des livres cités sont, comme nous l'avons dit, des recueils de ahadiths et font donc partie intégrante du corpus islamique. Le reprocher à des musulmans en France, sous prétexte qu'ils sont dévoyés par d'autres musulmans dans le monde, est un amalgame absolument dangereux et irresponsable.
Enfin, si ces livres sont une promotion de l'État islamique, pourquoi ne sont-ils tout simplement pas censurés en France ? Pire encore, pourquoi peut-on en retrouver des exemplaires en accès libre dans certaines bibliothèques municipales de France ? Comme ici ou là. Question, donc, pour les autorités : faut-il faire fermer la bibliothèque municipale de Lyon pour promulgation d'ouvrages "cités par l'État islamique" ? La réponse est, bien entendu, non car le raisonnement serait ridicule...
2. Un enseignant aurait défendu un imam condamné pour "apologie du terrorisme"
On apprend, toujours d'après le rapport d'inspection, qu'un enseignant de "culture de l'islam" de cet établissement aurait défendu via sa chaîne YouTube des imams étrangers qui auraient été expulsés, notamment Luqman Haider qui officiait à la mosquée Quba à Villiers-le-Bel, dans le Val d'Oise.
Avant même d'entrer dans le fond de cette affaire, supposons que cette accusation soit avérée (spoiler : ce n'est pas le cas) : faut-il, en raison d'un seul de ses membres qui a pris une position sur un sujet donné en dehors de ses heures de travail dans l'établissement, en arriver à la résiliation d'un contrat d'association d'une école privée qui contient en son sein plusieurs dizaines de personnels et plus de 600 élèves ? Le bon sens voudrait que non...
Mais entrons maintenant dans le fond de l'affaire : en septembre 2020, un imam du nom de Louqman Haider réalise des vidéos dans lesquelles il tient des propos inacceptables, en invitant ses auditeurs notamment à « s'en prendre à des non-musulmans » et à « les envoyer en enfer ». Ces vidéos ont été réalisées les 9, 10 et 25 septembre 2020. Il a été arrêté le 1er octobre 2020 dans le cadre d'une enquête ouverte pour « apologie du terrorisme avec l’utilisation d’un réseau de télécommunications ».
Dans le même temps, le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron prononce son discours des Mureaux concernant le "séparatisme" en France. C'est suite à ce discours que l'enseignant, M. Shakeel Siddiq, réalise une vidéo le 6 octobre 2020 dont le titre est « Comprendre la loi contre le séparatisme » :
Dans cette vidéo, dans laquelle il invite, soit dit en passant, l'État français à respecter la laïcité et les musulmans à « respecter les lois de la République », il s'inquiète des répercussions sur les musulmans qu'aura cette loi visant à lutter contre le séparatisme. Puis, à la fin de la vidéo (à 11:24), il aborde le sujet de l'arrestation d'un imam dans la mosquée de Villiers-le-Bel, le 3 octobre 2020, lendemain du discours d'Emmanuel Macron. Cet imam est, vous l'aurez compris, Louqman Haider.
Au moment des faits, début octobre 2020, Louqman Haider n'avait toujours pas été jugé donc comment M. Siddiq aurait-il pu défendre un imam condamné pour apologie du terrorisme un mois et demi plus tard ? D'autant que loin de le défendre, Shakeel Siddiq demande expressément dans son exposé de pouvoir visionner les vidéos qu'on reproche à l'imam afin de savoir s'il s'agit véritablement d'apologie de terrorisme ou non. Lui qui prônait le respect des lois de la République dans la même vidéo, nul doute qu'il aurait condamné les propos tenus par Louqman Haider... Faut-il encore être de bonne foi.
3. Un règlement intérieur qui "pose question"
Continuons maintenant sur le règlement intérieur de l'établissement qui "pose question" à l'inspection académique. Vraisemblablement, « les élèves de sexe féminin doivent avoir des tenues, haut blanc, jupe longue ou pantalon noir, pas de haut moulant ni transparent, le maquillage ou assimilé non admis ». Pourquoi les inspecteurs font-ils preuve de sexisme en n'évoquant que les élèves filles et pas garçons ?
Parce qu'à Muslim-Share, nous savons utiliser un moteur de recherche et qu'en cinq minutes, nous avons réussi à trouver le règlement intérieur de l'établissement. Dans celui-ci, il est effectivement indiqué que les filles doivent se vêtir d'un haut (t-shirt, polo, chemise, pull ou sweat sans motifs sauf si discret) blanc et d'un bas (pantalon, jupe ou robe) de couleur noire.
Mais il est également indiqué que les garçons doivent se vêtir... d'un haut (t-shirt, polo, chemise, pull ou sweat sans motifs sauf si discret) de couleur blanche et d'un bas (pantalon) de couleur noire. De plus, comme les filles peuvent (si elles le souhaitent) porter un foulard, il est indiqué dans le règlement intérieur que celui-ci doit être noir ou blanc.
Ce n'est que dans un autre paragraphe que l'établissement indique les tenues non conformes, paragraphe dans lequel aucune distinction n'est faite entre les filles et les garçons : on en déduit alors aisément que l'interdiction concerne fille comme garçon. Sont proscrits, par exemple, débardeurs, t-shirts trop courts, transparents ou moulants, casquettes, cagoules, vêtement dissimulant le visage, jeans déchirés, etc.
À Al Kindi, donc, il n'y a absolument aucune distinction entre les filles et les garçons en ce qui concerne leurs tenues vestimentaires. Nous aimerions donc savoir ce qui "pose question" aux autorités dans ce règlement intérieur...
4. Un nombre d'heures par matière pas respecté
Le nombre d'heures par matière n'est aussi pas complètement respecté, notamment dans le cadre des langues vivantes.
Le grief suivant concernerait un nombre d'heures par matière qui ne serait pas respecté. Les langues vivantes sont particulièrement concernées.
Le nombre d'heures par matière étant fixé, il n'est effectivement pas normal que les élèves ne puissent pas étudier chacune des matières la durée qui a été fixée par le code de l'éducation. Il s'agit probablement d'une erreur de gestion de la direction.
N'ayant pas accès directement au rapport d'inspection, il est difficile de se faire une idée sur le nombre d'heures qui auraient pu être manquées par les élèves. Cela concernait-il également toutes les années scolaires depuis la mise en place du contrat d'association en 2012 ? Tous les niveaux ? Combien de matières au total ?
Quoiqu'il en soit, il s'agit vraisemblablement d'une erreur que pourrait commettre n'importe quel établissement scolaire. En temps normal, un simple rappel à l'ordre à l'établissement aurait suffi...
5. Des cours à l'éducation sexuelle "très rares"
Dans une loi promulguée en 2001, tout élève doit bénéficier de trois séances annuelles d'éducation à la sexualité. Il est reproché au groupe scolaire Al Kindi que ces cours ne soient dispensés que très rarement. Encore une fois, difficile de défendre l'établissement sachant que la loi n'est pas respectée. Nous pouvons peut-être souligner que c'est une problématique bien plus large, et qui est loin de ne concerner que cet établissement privé musulman.
En effet, dans un rapport datant de 2021 à propos de l'éducation à la sexualité en milieu scolaire, nous apprenons que « moins de 15 % des élèves bénéficient de trois séances d’EAS pendant l’année scolaire en école et au lycée (respectivement moins de 20 % en collège) » (source). Si l'un des arguments pour rompre le contrat d'association est le manque de cours d'éducation à la sexualité, combien d'établissements publics ou privés devrions-nous faire fermer en France ?
6. Des horaires d'enseignement religieux mal positionnés dans la journée
Comme le groupe scolaire Al Kindi est un établissement privé musulman, il propose à ses élèves la possibilité de participer à des heures de "culture de l'islam". Ces cours n'étant pas imposés par l'établissement, ils doivent en revanche être placés en début ou en fin de journée d'après le code de l'éducation. Le rapport d'inspection reproche à l'établissement d'avoir placé ces heures en milieu de journée.
Là encore, on constate un problème de gestion de la part de la direction de l'établissement. Ce dernier se doit d'être rappelé à l'ordre sur ses obligations et doit, bien évidemment, corriger ces erreurs dans le futur. Mais, encore une fois, ces soucis de gestion méritent-ils la remise en question totale du contrat d'association avec l'État ?
7. Une confusion entre les moyens alloués aux classes sous contrat et hors contrat
Enfin, le dernier grief qui a pu être constaté par l'inspection académique serait une confusion entre les moyens alloués aux classes sous contrat et hors contrat. « Les moyens alloués par les acteurs publics, dont l’État, pourraient être utilisés sur ceux hors contrat » selon le rapport d'inspection.
À ce jour, le groupe scolaire dispose de 22 classes au total, dont 18 sont sous contrat. Lors de sa seconde année, l'établissement scolarisait moins de 200 élèves. Aujourd'hui, et suite à une croissance constante dans le temps, l'établissement a dépassé la barre des 600 élèves (617). Malgré un sérieux et un travail coopératif avec les institutions publiques, le groupe scolaire reste toujours partiellement sous contrat. Un problème récurrent depuis un bon nombre d'années maintenant...
Comment se fait-il qu'après tant d'années, l'établissement scolaire ne soit toujours pas passé totalement sous contrat ? En 2021, le député de la 10e circonscription du Val d'Oise, Aurélien Taché, avait interrogé le gouvernement sur le développement d'une offre d'éducation musulmane sous contrat. Cette dernière est très minoritaire par rapport aux enseignements catholiques, juifs ou laïcs qui représentent 98,6% de l'enseignement privé sous contrat. Le reste des établissements, donc 1,4%, comprenait des établissements privés musulmans mais également des établissements de langue régionale ou de confession protestante.
Pourquoi l'État est-il si réticent à élargir l'établissement privé musulman sous contrat ? L'actualité nous montre par ailleurs que la tendance est à l'inverse, avec la résiliation des rares contrats d'association avec l'État, la preuve avec la résiliation du contrat du lycée Averroès en 2024 et avec la volonté de résilier celui d'Al Kindi aujourd'hui.
Alors bien évidemment, dans ce dernier grief, l'établissement est une nouvelle fois fautif mais ce reproche n'existerait pas si l'établissement était totalement sous contrat. Par ailleurs, être partiellement sous contrat est une réelle contrainte pour un établissement privé. Que doit répondre l'établissement à une famille dont l'enfant est scolarisé dans une classe hors contrat quand une autre classe de même niveau existe sous contrat d'association ? Cela induit nécessairement une inégalité de traitement. De même lorsqu'il s'agit de passer un examen comme le brevet ou le baccalauréat : comment annoncer à certains élèves qu'ils pourront bénéficier du contrôle continu quand d'autres devront passer le même examen en candidat libre (et donc sans possibilité d'être évalués en contrôle continu) ?
Les musulmans français font partie de la France et ont toujours le désir d'être en conformité avec la loi. Nous souhaitons qu'un dialogue s'installe entre l'État et les citoyens musulmans et qu'un climat de confiance puisse s'instaurer à court, moyen et long terme.
Al Kindi, établissement d'excellence depuis 2007
Pour conclure, et après avoir souligné que les choses négatives que l'on pourrait (ou non) reprocher au groupe scolaire Al Kindi, nous nous devons de souligner qu'il fait partie des établissements d'excellence qui affichent chaque année un taux de réussite au brevet et au bac proche des 100%.
Il est ouvert, depuis 2007, à tous les élèves sans distinction de confession. Étant un établissement privé musulman, Il y est dispensé un enseignement dans un cadre éthique et respectueux des valeurs de la tradition musulmane et citoyenne.
À travers ses nombreuses actions, il prône une ouverture sur le monde et la société. En témoignent les nombreux événements organisés par l'établissement aux différentes périodes de l'année. Parmi les derniers événements organisés, on retrouve par exemple :
- Intervention de Emir Roumili, docteur en IA, sur le métier d'ingénieur et l'intelligence artificielle
- Intervention d'une ancienne élève d'Al Kindi, Yaqouti, devenue illustratrice
- Intervention de l'association Auvergne Rhône-Alpes Orientation auprès des élèves de seconde
- Atelier sur la mémoire et la lutte contre la haine par La Maison d'Izieu
- Participation à la Fête de la Science à l'Hôtel de Ville de Lyon
- Hommage collectif à Samuel Paty et Dominique Bernard
- Témoignage de Lili Leignel, survivante de la déportation à l'âge de 11 ans
- Visite de la compétition World Skills, la compétition internationale des métiers, organisée à Eurexpo
L'ensemble de ces événements ont été organisés depuis le mois de septembre 2024. Le groupe scolaire Al Kindi, loin de l'image négative qu'on souhaite lui donner, est un exemple d'ouverture, de tolérance et de respect.
Résilier son contrat d'association serait donc une injustice vis-à-vis de tout son travail réalisé depuis 2007 mais également vis-à-vis des centaines de familles dont leurs enfants sont épanouis dans cet établissement. Nous demandons donc aux autorités préfectorales et académiques de ne pas résilier le contrat d'association qui lie l'État et le groupe scolaire.
Événements à suivre
Ce 6 décembre, à 10h30, le groupe scolaire Al Kindi tiendra une conférence de presse en présence de ses avocats qui reviendra point par point sur tout ce dont il est accusé.
De plus, l'association des parents d'élèves de l'établissement organisent un rassemblement dans les locaux du groupe scolaire ce samedi 7 décembre, à 13h. Adresse : 17 rue Sully, 69150 Décines-Charpieu
La réunion de concertation académique, elle, se déroulera le 12 décembre. La décision de la résiliation ou non du contrat d'association se fera dans les jours suivants.